Fileuses de soie

Sylviane Corgiat, Bruno Lecigne & Jean-Côme

Auteurs :
Sylviane Corgiat (Scénario)
Bruno Lecigne (Scénario)
Jean-Côme (Dessin)
Date :
02 mai 2024
Format :
144 pages - Couleur
19.0 x 26,5 cm
ISBN :
9782849534960
Prix :
24,00 €

Fileuses de soie

Sylviane Corgiat, Bruno Lecigne & Jean-Côme

Interview

En mai 2024 Fileuses de soie nous fera voyager dans la Drôme du début du XXe siècle, dans une « usine-pensionnat » où souffle un vent de changement. L’album est signé du duo de scénaristes chevronnés Bruno Lecigne et Sylviane Corgiat, accompagnés aux dessin du jeune et talentueux Jean-Côme.


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Votre histoire prend place dans une « usine-pensionnat » drômoise au début du XXe siècle. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce décor ?


Bruno et Sylviane : Au XIXe et jusqu’au début du XXe, l’industrie de la soie était prospère, notamment dans les régions de l’Ardèche, de la Drôme ou de l’Isère. Pour en développer la production et le commerce, des usines ont poussé comme des champignons, employant une main d’oeuvre féminine, sous une forme assez particulière : celle des « usines-couvents ». Les ouvrières viennent de la campagne (des filles d’agriculteurs), des orphelinats ou des villes (des prostituées, des filles des rues). Ce sont des bonnes Soeurs qui les recrutent, les surveillent, les font travailler. Elles dorment et mangent sur place et n’ont guère de temps pour faire autre chose que travailler. C’est l’invention du capitalisme paternaliste. Le patron est un grand fermier ou un propriétaire terrien et chaque faux pas est sanctionné par une amende. Les filles ne sortent de là que pour se marier, elles peuvent alors toucher leur pécule durement gagné (si les amendes ne l’ont pas fait complètement fondre) et partent avec un trousseau qu’elles ont confectionné elles-mêmes. Cette industrie a subi divers coups de boutoir : d’abord une maladie qui a touché le ver à soie, puis la concurrence des textiles en provenance de Chine. Pour finir, cette industrie a complètement disparu. On voit encore des mûriers dans la Drôme, qui datent de cette époque, mais aujourd’hui le paysage a radicalement changé, c’est la lavande, les oliviers, les abricots, etc. Pour les filles qui travaillaient là, c’était parfois leur seule planche de salut, inutiles à la ferme ou en perdition, enfants abandonnés, filles se prostituant, etc.


Au coeur de votre album, il y a le destin de ces jeunes travailleuses exploitées. Ce sont elles qui ont motivé votre écriture ?


Bruno et Sylviane : Dans ce cadre, nous avons en effet choisi de raconter le destin mêlé de trois femmes, toutes venues d’horizons différents, ayant (ou pas) des rêves ou des objectifs différents. Et bien sûr, l’histoire prend place dans ce monde en train de disparaître. On ne sait pas encore que tout va sombrer, mais les signes avant-coureurs sont là : la maladie du ver, notamment, les difficultés économiques des propriétaires qui tentent des alliances pour s’en sortir, etc. Ces trois femmes portent chacune un lourd secret, elles vont apprendre à se faire confiance, se parler, et vont trouver entre elles une solidarité qui leur permettra de s’en sortir ; c’est aussi cela le sujet de notre livre. C’est avant tout une histoire humaine qui décrit la condition des femmes à cette époque, et pas seulement les ouvrières puisqu’il y a également la fille des propriétaires, objet d’une alliance économique. Pourtant, la beauté existe au sein de cet enfer ; des rêves se réalisent dans un monde bientôt englouti. À distance, depuis leur époque, les « fileuses de soie » nous adressent aussi des signaux qui trouvent un écho dans notre monde actuel.


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Tous vos personnages sont animés par une même soif d’émancipation, dans cette industrie en perte de vitesse. Ce dont vous parlez, c’est aussi de la fin d’une époque ?


Bruno et Sylviane : C’est en visitant le musée de la soie à Taulignan dans la Drôme que nous avons pris connaissance de ce monde et de ses lois incroyables. Les machines aussi, à l’arrêt comme des squelettes de dinosaure, étaient fascinantes. Nous avons alors pensé à ce que devait être la vie de toutes ces femmes traitées comme du bétail, sacrifiées pour la prospérité d’un patron. Il y avait aussi le fantôme d’un monde qui avait disparu complètement et qu’on pourrait faire revivre, montrant la fragilité de toute civilisation, la crise liée aux ressources qui s’amenuisent, etc. Tout cela nous a donné envie de raconter l’histoire à travers le destin de trois femmes. De plus, la famille paternelle de Sylviane est originaire de la Drôme où vivent encore des cousins et cette histoire a aussi été l’occasion pour elle de renouer avec son arbre généalogique. En ce sens, au-delà du sujet qui nous a demandé bien des recherches, c’était aussi l’occasion de faire une oeuvre personnelle.


Jean-Côme, tes planches laissent la part-belle à la nature sauvage de Drôme provençale et à sa chaleur étouffante, comment t’y es-tu pris pour obtenir ce rendu si immersif ?


Depuis plusieurs années, mes carnets ne me quittent pas. Je dessine et peins les paysages où je passe, que ce soit dans les Alpes en randonnées, ou bien dans le Lot où vivent mes parents. Je crois que mes planches sont infusées de ces décors que j’ai enregistrés inconsciemment, mais je dois avouer que je n’ai pas mis les pieds dans la Drôme depuis très longtemps. Bien sûr, je me suis également aidé d’une grosse documentation, de photos d’archives disponibles en ligne, ainsi que de photos de paysages que m’ont envoyées Bruno et Sylviane