Boomers

Bartolomé Segui

Auteurs :
Bartolomé Segui (Scénario et dessin)
Date :
06 mars 2024
Format :
96 pages - Couleur
19.0 x 26,5 cm
ISBN :
9782849534915
Prix :
20,00 €

Boomers

Bartolomé Segui

Interview

Dessinateur bien connu pour ses polars à succès parmi lesquels on compte le multi-primée Les serpents aveugles, ou les aventures du célèbre détective catalan Pepe Carvalho, Bartolomé Seguí fait une entrée remarquable au catalogue de La Boîte à Bulles avec Boomers. Derrière son titre légèrement provocateur se niche un récit d’une grande douceur sur le passage du temps et sur la transmission.


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Qu’est-ce qui motive le grand voyage introspectif d’Ernesto, le personnage principal de Boomers ?


On pourrait dire qu’Ernesto a pris de plein fouet le passage inévitable des années et débute ce qui semble être, de toute évidence, une crise pure et dure de la soixantaine. Les temps continuent de changer, comme le chantait Dylan, il a maintenant l’âge que ses parents avaient quand il les voyait comme des personnes âgées, et il observe avec une certaine stupeur la manière dont les choses que sa génération tenait pour acquises s’effondrent : le discrédit envers la politique, la perte de repères, la crise climatique, la précarité (parfois malgré un emploi), les difficultés à communiquer, la post-vérité... Il y a de nombreuses façons de faire face à cela. Ernesto, lui, a besoin d’être seul pour mettre de l’ordre dans ses pensées. Heureusement, il a Lola à ses côtés pour lui apporter du bon sens et de la joie. 


Boomers parle d'accepter le temps qui passe ; non seulement de la manière dont le poids des années pèse sur vos épaules, mais aussi sur la manière dont votre réalité, ce que vous connaissez, devient obsolète. À soixante ans, vous êtes toujours là, vous avez encore des choses à dire, mais c’est comme si vous fonctionniez avec un système d’exploitation qui n’accepte plus de mises à jour. Vous vous retrouvez classés comme « anciens » par les plus jeunes ; des parties de votre corps que vous ignoriez commencent à vous faire mal ; vous n’êtes plus la cible d’aucune tendance (pas même dans votre ville) ; le sexe n’est plus ce qu’il était, et ne sera peut-être bientôt plus ; et votre Shangri-La n’est plus fait de grands projets, mais plutôt de l’espoir d’atteindre une retraite tant attendue en bon état. 


Un artiste qui, voyant approcher ses 60 ans, commence à regarder en arrière… a-t on raison d’y voir une oeuvre au moins partiellement autobiographique ?


Boomers est clairement mon oeuvre la plus personnelle, et elle reflète beaucoup ma vie au moment où j’ai commencé à l’écrire : j’avais perdu mon père et mes beaux-parents, une pandémie avait bouleversé notre vie à tous, j’allais avoir 60 ans... j’avais rendu le troisième Pepe Carvalho et, pour la première fois depuis longtemps, je n’avais pas d’autre commande en attente. Alors, j’ai décidé de profiter de mon temps libre, sans pression, pour raconter avec humour ce que pouvait ressentir ma génération.
Même lorsque l’on écrit de la fiction, il est impossible de ne pas parler de soi-même, mais je ne voulais en aucun cas écrire une autobiographie. La vie de Bartolomé Seguí n’a aucun intérêt, donc je devais me retirer de l’équation pour que les lecteurs puissent se retrouver dans ce qui est davantage un portrait générationnel que personnel. Quand on a plus d’années de vie que de temps devant soi, les souvenirs commencent à peser plus lourd que les projets, il était donc inévitable que ce récit s'imprègne de nostalgie. Cependant, j’ai préféré manier l'ironie et me moquer de moi-même plutôt que de tomber dans la complainte typique des boomers, comme quoi notre époque était fantastique et qu’aujourd’hui tout irait mal.


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Cet album est composé de très courts chapitres, comme une succession d’instantanés qui, mis bouts à bouts, construisent la réflexion d’Ernesto. Pourquoi avoir procédé ainsi ?


C’est non seulement vrai, mais il n’y a pas non plus de ligne temporelle continue. La structure est plus thématique que chronologique. L’idée était de montrer les réflexions et les préoccupations des personnages sur tous ces sujets qui remplissent les conversations lors des repas entre sexagénaires…


Dans Boomers, tu renoues avec des personnages créés il y a plus de quarante ans pour un hebdomadaire espagnol. Comment t’est venue cette envie ?


Lola et Ernesto, ainsi que leur groupe d’amis, étaient déjà les protagonistes de mes premières histoires lorsque j’ai commencé à publier des bandes dessinées dans les années 80, avant de dessiner des scénarios écrits par d’autres. D’une certaine manière, ils ont déjà joué le rôle d’alter ego, rejouant ce que j’ai vécu pendant ces années de jeunesse. Je me suis souvenu d’eux et j’ai pensé qu’ils étaient toujours là, qu’eux aussi avaient traversé ces 30 dernières années, et qu’à travers eux, je pouvais parler avec plus de naturel et de distance de cette génération des boomers. 


Le public français te connaît surtout pour tes séries polar Les serpents aveugles, Pepe Carvalho Comment s’est passée ta transition vers l’intime ?


Plutôt qu’une transition, c’était un retour aux sources, à l’époque où j’écrivais également les scénarios de mes bandes dessinées. J’ai toujours aimé les histoires du quotidien ; celles qu’on appelle « slice of life », où il semble qu’il ne se passe presque rien et où l’intrigue se construit à partir de petites anecdotes et de dialogues. Je pense que c’est là que, de manière naturelle, je me suis senti le plus à l’aise en tant qu’auteur. En dehors des séries que tu mentionnes, plus axées sur le genre policier, j’avais déjà dessiné la vie quotidienne dans Histoires du Quartier, sur des scénarios
de Gabi Beltrán, ainsi que dans certaines histoires courtes
publiées en Espagne. Ma crainte résidait plutôt dans le fait de savoir si j’avais pu perdre l’éclat dans l’écriture après tant d’années à adapter les scénarios des autres ; si ce que je voulais raconter intéresserait toujours des gens. Pour le reste, j’avais vraiment hâte, et j’ai pris beaucoup de plaisir à modeler le rythme et les besoins de la narration à ma guise.